Loi Lurel : un outil de régulation pour réduire les écarts de prix en Outre-Mer ?
Paris, le 30 octobre 2024
| Concurrence – Distribution |
La loi Lurel du 20 novembre 2012 entrée en vigueur le 22 mars 2013 a marqué un tournant dans la régulation des pratiques commerciales en Outre-Mer. Codifiée à l’article L. 420-2-1 du code de commerce, la loi Lurel interdit les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises (1) dans les territoires ultramarins. Précisément sont concernés les territoires suivants : les Antilles, la Guyane, Mayotte et La Réunion.
Ainsi, depuis le 22 mars 2013, les droits exclusifs d’importation dans lesdits territoires en outre-mer sont interdits. Certaines réserves sont toutefois à noter pour la Polynésie française et la Nouvelle Calédonie lesquelles sont régies distinctement.
Origines et objectifs
A l’origine de cette interdiction l’Autorité de la Concurrence avait constaté (2) des écarts significatifs et anormaux des prix de vente au détail des produits de grande distribution entre les départements d’Outre-Mer et la métropole, dépassant souvent 50% pour de nombreux produits de grande consommation.
Ces différences résultaient selon le rapport présenté, de l’existence de la spécificité des circuits d’approvisionnement des marchés domiens (3) que sont les importateurs/grossistes ou « agents de marque ».
Chacun notera au passage, que 12 ans plus tard, l’écart des prix à la consommation est toujours d’actualité…
Champ d’application
Concrètement, cette interdiction s’applique aux exclusivités de droit et de fait mises en œuvre en outre-mer. Autrement dit, l’existence d’un contrat écrit n’est pas une condition d’application du dispositif.
Bien plus, une interdiction supplémentaire a été ajoutée en 2020 (4). Depuis lors, est ainsi également prohibé le fait, pour une entreprise exerçant une activité de grossiste importateur ou de commerce de détail ou pour un groupe d’entreprises dont au moins une des entités exerce une de ces activités, d’appliquer à l’encontre d’une entreprise dont elle ne détient aucune part du capital des conditions discriminatoires relatives à des produits ou services pour lesquels existe une situation d’exclusivité d’importation de fait (5).
L’Autorité sanctionne aussi bien les fournisseurs ayant octroyé les droits exclusifs d’importation, que les grossistes-importateurs qui en ont bénéficié (6).
Dérogations et subtilités juridiques
Bien que stricte dans l’interdiction des exclusivités d’importation, la loi Lurel prévoit néanmoins une exception. Cette dérogation ouvre la possibilité de maintenir certains accords ou pratiques sous réserve du respect de conditions très spécifiques.
Ainsi, pour bénéficier de cette exception, les entreprises doivent satisfaire à deux critères cumulatifs :
– Justifier que leurs accords ou pratiques sont fondés sur des motifs objectifs d’efficacité économique.
– Démontrer que ces accords ou pratiques réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte.
Dans la pratique, cette exception s’avère extrêmement délicate à mettre en œuvre pour plusieurs raisons :
– L’Autorité de la concurrence adopte une approche rigoureuse dans l’évaluation de ces critères.
– Il incombe aux entreprises de démontrer de manière pertinente et précise que leurs pratiques remplissent ces conditions.
– Justifier l’efficacité économique nécessite souvent des études de marché détaillées et des analyses coûts-bénéfices complexes.
– Prouver qu’une partie équitable du profit est réservée aux consommateurs peut s’avérer particulièrement ardu, nécessitant des données précises sur les prix et les marges.
Autant dire qu’il est relativement difficile de satisfaire à cette exception en pratique sans l’aide d’un conseil spécialisé.
Précisément : qu’entend-on par importation ?
Pour répondre à cette interrogation, il est nécessaire d’analyser la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence. L’Autorité a ainsi recours à la définition fiscale d’entrée sur le territoire des départements d’outre-mer, à savoir qu’une importation est constituée par l’entrée d’un bien provenant de la métropole, d’un Etat membre de l’Union ou d’un autre territoire d’outre-mer (7).
Quels sont les contrôles ?
L’Autorité de la concurrence est très attentive quant au respect des dispositions légales précitées à en croire le nombre de sanctions prononcées. Sa vigilance est illustrée par le nombre de décisions rendues ; entre 2015 et 2024, soit en 9 ans l’Autorité a rendu 10 décisions sur le sujet. Il arrive également que la DGCCRF rende elle-même des injonctions sans transmettre à l’Autorité de la concurrence. C’est ainsi que le 6 janvier 2023, à la suite d’une plainte d’un acteur s’estimant lésé dans le secteur de l’importation des eaux de source, la DGCRRF a enjoint à trois sociétés la cessation de pratiques d’importation exclusive sur le territoire mahorais et une amende transactionnelle.
Tous les acteurs économiques des Antilles, de Guyane, de Mayotte et de la Réunion sont alors visés et sanctionnés. En 2023, deux affaires ont été traitées et sanctionnées. A date, l’Autorité de la concurrence n’a pas rendu de décision en 2024.
En effet, la dernière décision rendue, à ce jour, par l’Autorité date du 8 mars 2023 (8). Elle est relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de champagne en Guadeloupe et Guyane. L’Autorité de la Concurrence a ainsi sanctionné six entreprises d’un même groupe, ainsi que deux grossistes -importateurs, ayant maintenu des droits exclusifs d’importation de champagne sur ces territoires après l’entrée en vigueur de la loi. Cette décision rappelle que tant les contrats contenant encore des clauses de distribution exclusive, que les pratiques d’exclusivités suivies dans les faits sans contrat écrit sont sanctionnées.
Tout type de produits est concerné : des produits de grande consommation, de champagne (9) ; des produits d’hygiène et d’entretien ; de dessert ; de pièges à thermites (13) ; de conserves, biscuits ; de dispositifs de biologie médicale (11) ; de parfums ou de cosmétiques (12).
Quelles sont les sanctions ?
Les exclusivités d’importations en outre-mer sont des pratiques anti-concurrentielles et sanctionnées comme telles (13). Le montant des sanctions, varie selon la gravité des pratiques et sont déterminées individuellement par entreprise concernée, soit au regard des décisions rendues de 5 000 € à 642 800€ à ce jour.
Impact sur les pratiques commerciales
La loi Lurel a contraint les entreprises opérant en Outre-Mer à repenser leurs stratégies commerciales. Les contrats d’importation et de distribution ont dû être revus, et de nouvelles pratiques ont émergé pour s’adapter à ce cadre réglementaire plus strict.
Les acteurs économiques en Outre-Mer essaient d’adapter leurs modèles d’approvisionnement et de distribution. Certaines entreprises optent pour des stratégies alternatives, telles que : La diversification des fournisseurs ; L’établissement de partenariats non exclusifs ; L’investissement dans l’innovation produit ; ou encore l’expertise locale.
Défis persistants
Malgré l’application de la loi depuis plus d’une décennie, force est de constater que les écarts de prix entre l’Outre-Mer et la métropole persistent, son impact sur les prix à la consommation reste mitigé. Cette situation soulève des questions quant à l’efficacité à long terme de la mesure de la Loi Lurel et suggère la nécessité d’approches complémentaires pour lutter contre la vie chère dans ces territoires.
Lutter contre la vie chère a toujours été une préoccupation importante en outre-mer, renforcée aujourd’hui par le contexte économique et le climat social en pleine crise dans certains territoires. L’actualité en Martinique témoigne en effet de la révolte contre la vie chère. Cette lutte contre la vie chère fait d’autant plus de sens à l’aube des négociations commerciales à venir pour 2025.
Gardons toutefois à l’esprit que les fournisseurs et distributeurs ne peuvent pas tout résoudre à eux seuls en dépit de leurs efforts respectifs.
[1] L. n° 2012-1270, 20 nov. 2012, art. 5
[2] Avis n° 09-A-45 rendu par l’Autorité de la concurrence le 8 septembre 2009
[3] Rapp. Aut. conc. 2009, pt 309 « plusieurs particularités des circuits d’approvisionnement des marchés domiens permettant aux opérateurs de s’abstraire partiellement du jeu concurrentiel, seul capable de faire baisser les prix en faveur du consommateur dans les départements d’outre-mer »
[4] Loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite loi DDADUE
[5] Art. L. 420-2-1, alinéa 2 du code de commerce ; modifié par la Loi.n° 2020-1508, 3 déc. 2020.
[6] Décision n°19-D-20 du 08/10/2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de parfumerie et cosmétiques aux Antilles, en Guyane, et à la Réunion.
[7] Décision n° 18-D-03 du 20/02/18 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à La Réunion, aux Antilles et en Guyane.
[8] Décision Autorité de la Concurrence 23-D-02 du 8 mars 2023 Canard-Duchêne : sanction pour un montant total de 283 000 €.
[9] Décision D21-D-23 du 7 octobre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne et des spiritueux à la Réunion (Cattier) ; Décision 20-D-16 du 29 octobre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne aux Antilles et Guyane( Nicolas Feuillate), Décision 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire Wallis et Futuna, Décision 16 -D-15 de transaction à hauteur de 600 000€.
[10] Décision 18-D-03 du 20 février 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à la Réunion, aux Antilles et en Guyane
[11] Décision 19-D-11 du 29 mai 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de réactifs et consommables pour laboratoires hospitaliers sur le territoire de la Guyane.
[12] Décision 19-D-20 du 8 octobre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de parfumerie et cosmétiques aux Antilles, en Guyane et à la Réunion sur transaction
[13] Article L 464-2 du code de commerce : Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante ».